CAN 2010

Toujours au village olympique de Cabinda, dans l'attente de l'arrivée d'un avion affrété par le gouvernement togolais pour rapatrier sa délégation au pays, l'attaquant des Eperviers Thomas Dossevi nous a confié, non sans émotion, son inquiétude pour la suite de cette CAN 2010.

«Thomas, vous allez donc quitter l'Angola et renoncer à cette Coupe d'Afrique des nations...
Oui. Un avion présidentiel doit arriver aujourd'hui pour nous rapatrier. S'il arrive comme prévu, on rentre. On avait émis un souhait, qui était de jouer. Ce n'était pas de la débilité, ce n'était pas n'importe quoi, on avait bien réfléchi cette nuit. On s'était dit qu'on voulait jouer en l'honneur et à la mémoire de nos disparus. On voulait jouer pour eux. Le gouvernement ne s'oppose pas à notre souhait, mais s'oppose plutôt à la sécurité qui n'est pas garantie à Cabinda. Franchement, la sécurité n'est pas améliorée. Depuis qu'on est arrivé sur le site olympique, il n'y a pas plus de protection que ça. Alors qu'on est à même pas 200 kilomètres de l'endroit où on s'est fait attaquer...

Il n'y a pas plus de sécurité depuis l'attentat ? C'est incroyable...
Ce que j'aimerais, c'est qu'on ait toujours un car de police pas loin de notre groupe. Mais ce n'est pas le cas. L'Angola et la CAF (confédération africaine de football) avaient dit qu'ils mettraient toutes les dispositions pour nous protéger, mais ce n'est pas très visible. Dommage, car on avait vraiment très envie de faire

Objectivement, vous auriez pu repenser au football après un tel drame ?
C'est clair que ça aurait été très compliqué de jouer au football dans ces moments là. En tout cas, au moment où je quitterai l'Angola et Cabinda, j'aurai une pensée pour les équipes qui vont jouer là-bas. Parce que Cabinda n'est pas du tout sûr.

Aviez-vous poser des conditions pour rester jouer cette CAN ?
On avait demandé un délai de 3-4 jours pour panser nos plaies, essayer d'oublier un peu tout ça, et on avait aussi demandé de délocaliser tous les matches du groupe B. Et tout a été refusé ! Des membres de la CAF sont venus hier soir (samedi), et nous ont dit clairement qu'aucun match ne serait délocalisé.

Le stade flambant neuf de Cabinda doit être amorti, c'est ça...
(silence) Disons que les enjeux politiques et économiques passent largement avant la passion du football...

C'en est presque écoeurant non ?
Vous vous rendez compte, c'est quand même grave ce qu'il s'est passé. Il y a quand même eu des morts ! On avait discuté avec les Ivoiriens et les Ghanéens. Ils nous avaient dit que si on partait, ils partaient aussi. Et puis hier, ils sont revenus nous dire qu'ils ne quittaient pas la compétition. C'est après ça qu'en réfléchissant, on avait décidé de rester pour jouer.

Vous pensez que des pressions ont pu être exercées sur le Ghana, le Burkina Faso ou la Côte d'Ivoire ?
(Silence)

Les séparatistes ont annoncé leur volonté de continuer leur lutte. Peuvent-ils recommencer selon vous ?
Oui, j'ai peur qu'il arrive encore quelque chose. Quelque chose d'encore plus grave. Imaginez : ce nouveau stade de Cabinda est placé juste à côté d'une immense forêt. Nous avons été attaqués au fusil mitrailleur, mais aussi par un tir de roquette ! Le souffle de la roquette a frappé les vitres du bus. Je pense qu'on sous-estime la force de frappe de ce groupe, qui peut disposer d'armes de longue portée, se cacher dans cette forêt, à quelques kilomètres, et tirer directement sur le stade de Cabinda. Ca fait peur.

Très franchement, après une telle tragédie, la logique aurait été d'annuler cette CAN, non ?
Oui, je pense.»

FF

En direct sur RMC, le capitaine du togolais Emmanuel Adebayor a annoncé la décision de finalement se plier à la volonté du gouvernement et de se retirer de la CAN. Il ne dissimule pas son amertume. Manifestement, il aurait préféré jouer.

Qu’est-ce qui vous avait décidé, entre 18h et 1h du matin ce dimanche, à changer d’avis et finalement décider de prendre part à la CAN ?
On a passé des moments très, très difficiles. On a fait une réunion entre joueurs hier (samedi) et on s’est dit qu’on était quand même des footballeurs. On a tous décidé de faire quelque chose de beau pour le pays et de jouer pour rendre hommage à ceux qui sont morts. Malheureusement, le chef de l’Etat et les autorités du pays en ont décidé autrement. On va donc plier bagages et rentrer chez nous.

N’aviez-vous pas peur qu’une nouvelle attaque se produise ?
Oui mais ce vendredi à 14h30, on était tous morts dans ce bus. On a envoyé nos derniers messages à nos familles. On a appelé nos proches pour prononcer nos derniers mots. Je me suis dit : « Si on est encore là, sur la terre angolaise, pourquoi ne pas faire la CAN ? » Ce qu’on a vécu va nous marquer à vie. Aujourd’hui, les autorités ont décidé de rentrer, on va rentrer. Mais est-ce que les gens qui ont laissé leur peau, qui sont morts pour nous, vont être contents qu’on rentre ? Je ne sais pas.

Rester jouer à Cabinda paraissant difficilement imaginable…
En tant que capitaine et porte-parole du Togo, j’ai parlé avec toutes les autorités. Je leur ai dit de prendre les mesures nécessaires pour notre sécurité. J’en ai parlé avec le capitaine et la délégation de la Côte d’Ivoire et avec les Ghanéens. Ils m’ont exprimé leur soutien en disant qu’ils étaient prêts à quitter la compétition si on le faisait. A la fin de la journée, on s’est rendu compte qu’ils étaient prêts à poursuivre. C’est quand même un continent sur lequel une Coupe du monde va avoir lieu en Afrique du Sud. Si on parle de morts, la compétition aurait dû être annulée. Mais la CAF en a décidé autrement. Nous, on va rentrer et on souhaite bon courage à ceux qui vont rester, surtout au Burkina Faso, à la Côte d’Ivoire et au Ghana (qui devaient être les adversaires du Togo dans le groupe B, ndlr). Ce que j’ai dit à leurs dirigeants, c’est qu’ils peuvent être attaqués à Cabinda à tout moment. J’espère qu’ils vont être prudents.

Le chef de l’Etat Faure Gnassingbé vous a-t-il appelé en personne pour vous demander de respecter sa décision de vous faire rentrer ?
C’est ce qui a fait la différence. On a aussi nos familles et nos proches au pays qui nous ont appelés. Ils nous ont dit qu’on pouvait continuer si on le souhaitait mais que ce sont les autorités qui ont les informations. Est-ce qu’on va être réattaqué ? On n’en sait rien. S’ils nous ont demandé de rentrer, c’est peut-être qu’ils ont reçu un coup de fil disant que la menace n’était pas passée. On est obligé de respecter ça. Le chef de l’Etat sait ce qui est bien pour notre carrière et pour nos vies.

Quand allez-vous rentrer ?
L’avion présidentiel va venir nous chercher. Quand j’ai eu le président il y a trois quarts d’heure, il m’a dit que l’avion venait de quitter Lomé, il y a trois quarts d’heure déjà (il était 11h30 au moment de l’interview, ndlr). Il y a environ deux heures de vol entre Lomé et Cabinda. Le temps ensuite de faire le plein et on partira dans deux ou trois heures.