JO Vancouver 2010

Lugeur mort et déluge de doutes

Aux JO de Vancouver, les conditions de sécurité de la «piste de la peur» inquiètent.

La mort accidentelle du lugeur géorgien Nodar Kumaritashvili, vendredi sur la piste de Whistler, a provoqué l’ouverture des parapluies. Le plus grand étant celui sous lequel s’est abritée la Fédération internationale de luge de course (FIL) qui, après enquête officielle, a conclu à une erreur humaine du Géorgien. «Avec tout le respect qu’on lui doit… Mais je sais aussi qu’aucune faute sportive ne doit conduire à la mort», a déclaré le président de la FIL, l’Allemand Josef Fendt.

L’athlète aurait fait une erreur de trajectoire sur la piste considérée comme la plus rapide du circuit. Il a touché le mur dans le seizième virage, alors qu’il glissait à plus de 140 km/h et a été catapulté à plus de deux mètres contre un des pylônes d’acier. Le choc, d’une violence extrême, a été fatal au lugeur de 21 ans, décédé à l’hôpital quelques minutes plus tard.

Le président de la République géorgienne, Mikhaïl Saakachvili, est intervenu en conférence de presse. L’inexpérience de Kumaritashvili ne pouvait être mise en cause, a-t-il insisté. Originaire de Bakuriani (centre du pays), le jeune homme était issu d’une grande famille de lugeurs. «Son père pratiquait la luge, et son oncle a été entraîneur en France», a précisé le Président, ajoutant qu’une piste portant son nom allait être construite dans sa station. «Pour que les gens n’oublient pas. Que cette tragédie ne les effraie pas, mais qu’elle les pousse à promouvoir ce sport, à sa mémoire», a-t-il continué, fier que l’équipe de Géorgie reste en compétition. Même si Levan Gureshidze, le deuxième lugeur géorgien, ne s’est pas présenté au départ.

2 000 tests. Les JO ne sont pas habitués à de tels drames. Le dernier accident mortel datait de février 1992 aux Arcs. Un concurrent suisse de l’épreuve de KL (ski de vitesse), Nicolas Bochatay, s’était tué en percutant une dameuse lors d’une séance de ski libre, alors que la piste n’était pas sécurisée. A Whistler, selon les déclarations officielles, la piste ne serait pas en cause. «Il y a eu plus de 2 000 tests ici avant les Jeux. C’est bien plus que sur n’importe quels autres JO.» Samedi pourtant, tout le monde s’est mis au travail pour sécuriser ce tracé baptisé depuis longtemps «la piste de la peur». Une palissade en bois a été montée devant les poteaux métalliques, et les techniciens de la piste ont savamment retaillé la glace dans certains virages pour modifier les trajectoires. «Nous espérons que si un athlète tape le mur il sera renvoyé sur la piste», a expliqué Svein Romstad, le secrétaire général de la FIL.

Par ailleurs, les commissaires de course ont pris la décision d’abaisser le départ au niveau de la rampe de lancement de l’épreuve féminine, moins pentue et située 176 mètres plus bas, de façon à réduire la vitesse (ce week-end, l’Autrichien Manuel Pfister a tout de même dépassé les 154 km/h). «Après l’enquête, les délégués ont jugé que ces changements étaient nécessaires pour la sécurité des compétiteurs», a expliqué le Canadien Ed Moffat, directeur de course. Le virage 16 a donc été retaillé. Toutes les décisions ont été prises par une équipe de spécialistes réunie par le comité d’organisation des Jeux et supervisée par les délégués de la FIL. Qui n’a pas semblé avoir retenu la leçon des JO de Turin.

émus. En 2006, la piste de Cesana avait aussi la réputation d’être dangereuse, et la FIL avait alors recommandé à certains athlètes de renoncer. A Whistler, rien n’a changé ou presque alors que les pilotes, que ce soit de skeleton, de luge ou de bobsleigh, avaient qualifié la piste de «très exigeante au niveau du pilotage». L’Allemand Andi Langehan l’a constaté en se blessant à l’épaule à l’entraînement, tout comme la Roumaine Violeta Stramaturaru, qui a passé quelques heures en observation à l’hôpital de Whistler. L’Américain Tony Benshoof, conscient du danger, avait lancé un appel à l’attention des concurrents les moins expérimentés.

Depuis, la FIL et la Fédération de bobsleigh ont opté pour des normes de qualification plus strictes. Cela aura coûté sa place au lugeur tongien Bruno Banani, qui n’a pas eu le droit de prendre le départ. Samedi, aux abords de la piste, personne ne voulait s’étendre sur le drame. Emus, choqués, un bout de scotch noir collé sur le côté gauche (celui où le jeune Géorgien est sorti) du casque, les concurrents se sont tout de même élancés dans la pente en pensant à leur ami. Les cracks s’étaient même déclarés prêts à partir de tout en haut si la FIL changeait d’avis.

Libération